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Auteur Par Véronique JEANDE

 

EDITORIAL

Alain Provansal, Avocat au Barreau de Marseille, Président de l’AAPPE

 
 
Longue supplique en vue d’obtenir un rescrit de grâce ou de justice pour la procédure et les avocats
De retour de la Convention Nationale des Avocats à NANTES, où nous avons suivi le chemin de la procédure au rythme lent d’un bateau sur l’Erdre, et après avoir animé l’atelier de procédure civile, une impression étrange m’a saisi.
Le substantif : « procédure » dont l’étymologie nous conduit à avancer, recèle des réalités complexes dont la bonne articulation ne peut résulter que de textes clairs et de pratiques loyales.
Impression étrange : cela est bien loin de notre réalité…
La procédure est un moyen d’avancer dans un territoire a priori hostile qu’est l’organisation judiciaire, et au sein de celle-ci la répartition des compétences et des contentieux. Là aussi, quel monde étrange.
Enfin, en dehors ou à côté du monde judiciaire, avant ou après lui, les modes alternatifs de règlement des litiges permettent de tenter d’y échapper.
Le présent éditorial, non plus que la totalité de la Convention Nationale des Avocats, ne suffirait pas pour étudier la procédure et les acteurs de celle-ci, et encore moins les procédures.
C’est pourquoi les organisateurs, dans leur grande sagesse, avaient prévu lors de cette Convention une simple actualisation de procédure civile, sachant que les voies d’exécution, quelquefois impénétrables, étaient traitées par ailleurs.
Le principe de la formation continue, que nous sommes les premiers contraints à adopter, veut que nous soyons censés avoir fait quelques découvertes depuis la dernière Convention des Avocats de LILLE.
Il n’est pas question d’être exhaustif, ce que je ne saurai faire, mais seulement d’aborder quelques textes récents qui modifient ou même vont modifier nos pratiques et renforcent cette impression d’étrange.
La tendance lourde est bicéphale : déjudiciariser d’une part, pour soulager celui qui n’assume plus : l’Etat, et modéliser d’autre part, dans des carcans de délais avec des sanctions-couperet, l’ensemble des procédures judiciaires en privilégiant l’écrit aux cris (des avocats, mais aussi des parties).
La carte judiciaire : dans le film culte « Les tontons flingueurs », Bernard Blier (Raoul Volfoni) prononce : « Faut r’connaître… c’est du brutal ! ». Cela résume bien la situation dans laquelle nous a mis une certaine Garde.
Les dégâts sont nombreux sur la population et la profession, la contrepartie symbolique se faisant attendre du fait d’une totale impréparation, et encore ce n’était, paraît-il, qu’un début dont la suite a été suspendue, heureusement.
Pour ce qui est de l’organisation judiciaire, la suppression des ersatz est acquise et sera réelle. Le commerce de proximité revient avec les Monop, Daily Monop, Carrefour City et Market et autres, mais le juge de proximité disparaît comme institution au civil. Pour ce qui est du démantèlement de la construction intéressante et solide du juge de l’exécution, la loi a encore frappé en séparant les rôles respectifs du juge de l’exécution et du tribunal d’instance selon le degré de noblesse de la nature des contentieux, le second étant réservé au surendettement et au rétablissement personnel : justice du pauvre sans avocat. Tout cela accompagné d’une énième réforme du crédit qui veut parer à l’incapacité économique des pouvoirs publics en matière de pouvoir d’achat, des pansements, voire des guérisons de dettes.
Voilà le territoire dans ses grandes lignes, comme une large fresque plus réaliste qu’étrange. Venons-en du territoire à l’accès au territoire. En Europe les frontières tombent, en France l’octroi renaît. Ainsi, à titre de péage, les pouvoirs publics ont récemment donné un coup d’Opinel à la sacrosainte gratuité de la justice âgée de 35 ans. L’on soulignera que la taxe de 35 € appelée contribution pour l’aide juridique, n’est perçue que pour les instances introduites devant les juridictions civiles et administratives, et non pour les actes juridiques.
Cela constitue un poids pour les avocats bien supérieur à celui des deux malheureux timbres (30 et 5 €) qu’il faut coller d’ici le 1er janvier 2012, et dont le coût absorbera le bénéfice attendu ; certes, il est espéré un paiement électronique – initialement prévu – dont on ne sait comment il interviendra, échaudés que nous sommes par les aléas de toutes les communications électroniques de ce genre entre le Réseau Privé Virtuel Justice et le Réseau Privé Virtuel Avocat, n’en déplaise à certains.
L’avocat est responsable de la taxe. Le culte de la provision préalable à toute instance doit donc être remis en vigueur, en attendant que nous puissions un jour l’obtenir des pouvoirs publics à l’instar des officiers ministériels.
Et ce alors que les bavards corvéables à merci que nous sommes doivent déjà assumer un droit de plaidoirie sur un service qu’ils rendent à la société : 8 € 84 sur les affaires d’aide juridictionnelle, augmenté à 13 €.
Taxe encore pour faire payer par l’usager une réforme aussi brutale dans l’annonce que tergiversatrice dans l’adoption de l’exécution : la suppression des avoués près les Cours d’appel, dont le but était la suppression de leur tarif, ce qui aurait été plus simple. Et que l’on ne nous dise pas que c’était pour respecter l’Europe qui a horreur des offices : alors pourquoi avoir laissé dans le fossé le rapport Darrois et ne pas avoir supprimé les autres offices ?
Mais la messe n’est pas dite : les grands monopoles extensifs sont sur le gril du libéralisme européen.
150 € pour jouer les héros du deuxième degré, c’est peu sans doute. Mais nous avons déjà vu, et nous verrons encore plus, que la procédure adoptée renchérit le coût en empilant les timbres, les délais, les significations, et notamment cette curieuse assignation avec signification de conclusions, si le greffe ne nous prévient pas d’une constitution d’avoué ou d’avocat.
Quant à la procédure civile, ou plutôt les procédures civiles, car la procédure n’est pas unique même si elle y tend, suivant les degrés de juridictions : le Landau du film « Le cuirassé Potemkine » descendait à folle allure les marches des escaliers d’Odessa. Les marches des degrés des juridictions, elles, vont nous faire remonter vers le pire, même si rien n’est comparable.
Au premier degré bas, la procédure orale a été non pas unifiée entre les juridictions, non plus que les modes de représentation ; elle n’a pas été rendue identique avec celle du degré supérieur non plus. Mais l’on sent toutefois un rapprochement comme avec les procédures administratives.
Houellebecq écrivait « La possibilité d’une île», nous allons découvrir la possibilité de l’écrit grâce au décret du 1er octobre 2010.
Et nous allons multiplier l’abattage d’arbres avec la jonction des pièces aux citations devant le Tribunal d’instance, sorte de test précédant probablement l’annexion des pièces aux citations devant les autres juridictions, avec la nécessité pour certains greffes de les enrôler, pour d’autres qui n’ont pas la place de les refuser, et pour tous en Europe d’éviter la traduction.
Puisque la plaidoirie gêne, elle peut être évitée. L’on peut en dispenser le justiciable, il peut demander des délais par écrit, et le juge peut imposer un calendrier.
Au premier degré haut, la brûlure étrange est moins grave mais certaines dispositions ont été prises pour modifier les compétences (répartition subtile des liquidations des régimes matrimoniaux et de pactes civils de solidarité d’un côté, des successions ou des indivisions particulières de l’autre, entre le juge aux affaires familiales et le Tribunal de Grande Instance), ou créer encore des juridictions spéciales pour des contentieux dits « spéciaux » : Paris redevient la capitale attractive des gros événements (plutôt catastrophiques) de la vie et de la société.
Il est précisé plus récemment dans un décret du 1er septembre 2010 ce que signifie le juge statuant en la forme des référés à la décision duquel l’on confère l’autorité de la chose jugée mais aussi l’exécution provisoire, car il s’agit d’une instance au fond. Cela se surajoute en parallèle au juge unique avec toutefois une procédure d’urgence plus simplifiée qui ne nécessite pas l’autorisation d’assigner à jour fixe.
L’on citera la conciliation qui est révisée, l’arbitrage qui s’aligne sur l’arbitrage international, les mesures conservatoires en matière de succession transférées à l’huissier de justice pour les scellés et les inventaires, on relèvera également des expériences en matière de médiation familiale.
Au deuxième degré, le gros morceau difficile à avaler quand on le lit et à digérer quand on l’applique est la procédure d’appel. Procédure conçue en réalité pour un seul appelant et un seul intimé, et à la rigueur un intimé devenant appelant incident.
La difficulté est de concevoir l’évolution d’une telle procédure pour laquelle il n’est prévu au 1er janvier 2012 qu’un appel et qu’une constitution par voie électronique, sans certitude de réception de ces actes par le greffe.
Comment se fera, alors qu’elle n’est pas encore prévue, la notification entre avocats des conclusions et des pièces ? Quel sera le délai pendant lequel le greffe préviendra l’appelant qu’aucune constitution n’est faite, lui laissant sans doute fort peu de temps pour assigner, et comme il doit conclure dans les trois mois, pour le faire en même temps, d’où un acte lourd, indigeste, non accessible au commun des mortels.
Et puis deux mois pour l’intimé qui n’aura pas eu la déclaration d’appel, qui va recevoir ce pavé. Est-ce bien raisonnable ? Tout cela pour une efficacité et une rapidité de la justice qui n’ont aucune contrepartie dans l’équipement en hommes et en moyens des juridictions pour permettre que, de leur côté, lorsque les avocats auront sué pour arriver à temps en n’oubliant aucun moyen dans leurs écritures, ni aucune demande dans le dispositif de celles-ci, les juges clôturent, fixent et rendent les arrêts.
Alors une porte est ouverte : le procès sans juridiction ; c’est la convention participative par avocat dont il faut que nous nous emparions, parlions en toute loyauté, avec l’indication d’un calendrier pour l’échange des pièces, la sélection de celles qui seront communiquées entre les avocats, et qui seront les seules ensuite en cas d’échec à être produites devant la juridiction.
La procédure participative, ce n’est pas la procédure collaborative réservée aux affaires familiales, c’est une procédure qui peut être engagée avant tout procès civil, que ce soit en matière de succession, de recouvrement des créances, de servitudes et autres inconvénients de voisinage, sans que cela soit exhaustif.
Et puis, même s’il n’apporte qu’un logo de plus et nous a coûté cher face aux experts-comptables et aux notaires, la convention peut se terminer par un acte d’avocat rédigé par les deux avocats ou plus, certifiant l’identité des parties, et qui, sous réserve qu’un décret le précise, et nous l’attendons depuis le 1er septembre, sera homologué telle une transaction par le Président du Tribunal de Grande Instance.
Voilà l’avenir. Puisque la Justice transfère ses tâches sur nous, assumons-les sans elle.
Et si nous devons combattre un texte qui contrevient à notre Constitution, nous avons la possibilité, mais ce n’est pas le lieu ici de l’étudier, d’une question prioritaire de constitutionnalité sur laquelle beaucoup a déjà été dit et écrit ; il suffit d’en rappeler schématiquement les conditions : que la loi visée n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, que la question soit nouvelle et sérieuse, qu’elle présente un intérêt pour la cause considérée. Rappelons aussi qu’elle devra être présentée par un mémoire distinct des autres écritures.
Lecteurs, ce n’était pas un éditorial, mais une supplique amère – voire un pamphlet – mais aussi un message plein d’espoir d’un avocat qui après 4 ans de cléricature est devenu il y a 39 ans celui qui vous écrit, avec l’amour de son métier, de sa profession, de sa vocation.
Tout est susceptible d’améliorations, et c’est ce message qu’au nom de l’AAPPE, qui travaille sur tous ces sujets ardemment, et dont les membres échangent les pratiques étranges et si différentes d’un lieu à l’autre pour s’harmoniser, je veux faire passer.
 

SOMMAIRE

 
L’ACTUALITE LEGISLATIVE ET JURISPRUDENTIELLE
FLASH INFO : LE DROIT D’AGIR DE L’ASSOCIATION SYNDICALE
Par Alain Provansal, Avocat au Barreau de Marseille, président de l’AAPPE
FLASH INFO : QPC : CONFORMITÉ DES TEXTES RELATIFS À LA POSTULATION EN MATIÈRE DE SAISIE IMMOBILIÈRE
Par Frédéric Kieffer, Avocat au Barreau de Grasse, Vice-président de l’AAPPE
ACTUALITE JURISPRUDENTIELLE
Par Alain Provansal, Avocat au Barreau de Marseille, Président de l’AAPPE, et Frédéric Kieffer, Avocat au Barreau de Grasse, Vice-Président de l’AAPPE
L’actualité jurisprudentielle en procédure civile
Aperçu arbitraire des jurisprudences intervenues depuis dix-huit mois environ abordées dans le sens chronologique des actions procédurales
Atelier de procédure civile de la Convention nationale des Avocats
Octobre 2011
Le Jouet EXtraordinaire des amateurs des voies d’exécution
Complément à l’atelier de procédure civile de la Convention nationale des Avocats
ACTUALITE JURISPRUDENTIELLE
Par Marc Authamayou, Avocat au Barreau de Toulouse
REFLEXIONS SUR…
COMMENTAIRE DE L’ARRET CIV.2 DU 31 MARS 2011 – N° 09-17376
Par Frédéric Kieffer, Avocat au Barreau de Grasse, Vice-président de l’AAPPE
QUESTIONS PRATIQUES
PREMIERS ARRETS DE COUR D’APPEL RELATIFS AU DELAI DE PRESCRIPTION EN MATIERE DE CREDIT IMMOBILIER
Par Vincent RIEU, Avocat au Barreau de Montpellier, Vice-président de l’AAPPE
BRÈVES RÉFLEXIONS SUR LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR D’APPEL
Par Carolina CUTURI-ORTEGA, Avocat au Barreau de Bordeaux
LES NEWS DE L’AAPPE
 

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