Libres propos, par Alain Provansal : Les dates poussent dans les calendriers

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Auteur Par Véronique JEANDE

 
LES DATES POUSSENT DANS LES CALENDRIERS…
… mais tous les calendriers ne sont pas équivalents et tous ne sont pas très lisibles.
Un exemple nous est donné dans les grappes (accumulation en volume) et chapelets (accumulation en temps) de dates contenus dans les textes commis pendant la période d’urgence sanitaire.
D’autant plus qu’à cette période appelée urgence sanitaire se rajoute une période juridiquement protégée curieusement déconnectée de la première.
Un exemple : la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 (2020-290) en son article 4 a fixé la fin de son application à la fin du délai de deux mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 24 mai 2020, et l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 (2020-304) la période juridiquement protégée du 12 mars à un mois après la fin de la période d’urgence sanitaire ce qui liait les deux, les formalités pouvant cependant être effectuées dans un délai de deux mois de la fin de l’état d’urgence sanitaire ; grappe de dates donc puisque la loi est accompagnée le même jour de 25 ordonnances dont quatre ressortant du Ministère de la (Justice ?)…
Par contre la nouvelle loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire du 11 mai 2020 (2020-546) a fixé la fin de son application au 10 juillet 2020 mais l’ordonnance du 13 mai 2020 (2020-560) a fixé la fin de la période juridiquement protégée au 24 juin 2020.
À noter quand même qu’entre-temps l’ordonnance du 23 mars a été modifiée par une ordonnance du 15 avril 2020 (2020-427) dont l’article 2 comporte une interprétation de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars précitée, puis par une ordonnance du 22 avril 2020-460 complétant l’article 2 de celle du 25 mars ; chapelet de dates donc.
Étonnant non ? aurait dit Pierre Desproges qui se régalerait tant la matière de l’absurdité dont il faisait son miel abonde.
La première loi fixait un délai unique d’un mois après la fin de l’état de confinement pour marquer la fin de la prolongation des délais (ou de leur suspension pour la saisie immobilière, la mal aimée comme le dit l’ancien Président de l’AAPPE, Président Frédéric Kieffer, au Dalloz Actualités du 18 mai 2020).
Mais le virus n’ayant cure de grappes et de chapelets continuait son bonhomme de chemin obligeant à légiférer à nouveau !
Ainsi la loi du 11 mai 2020 susdite a été suivie d’une ordonnance du 13 mai 2020 2020-560 qui partant d’une logique différente, égrène des dates différentes pour chaque matière régie par des délais administratifs ou judiciaires. De quoi noircir un calendrier des Postes.
Un vrai inventaire à la Prévert :
Le 23 mai pour la fin des délais des procédures administratives, budgétaires et comptables relevant des droits et obligations (surtout) des établissements sociaux et médico-sociaux expirant à compter du 12 mars alors que le délai initial expirait le 12 juillet,
Et le 24 mai 2020 pour l’établissement des actes de l’état-civil (fonctionnaires municipaux).
Jusqu’au 23 septembre 2020 pour la dispense d’accord de l’Agence Nationale des Fréquences pour l’implantation des stations radioélectriques ouvrant la porte à des installations « sauvages » initialement limitées au 23 juin ou pour les mesures administratives ou juridictionnelles prévues à l’article 3 de l’ordonnance 2020-306 (comme les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ou les mesures d’interdiction ou de suspension non prononcées comme sanctions).
Et enfin mais le moindre la valse des dates en matière de copropriété : l’ordonnance du 25 mars 2020 2020-304 article 22 qui prolonge le contrat de syndic de deux mois après la levée de l’état d’urgence sanitaire (prévu alors le 23 mai 2020 ce qui amenait au 23 juillet) puis l’ordonnance du 20 avril 2020 2020-460 article 1 qui le prolonge de huit mois (soit le 23 janvier 2021) et pour clore le tout l’ordonnance du 20 mai 2020-595 article 13 qui prolonge le délai pour tenir l’assemblée générale qui doit désigner le nouveau syndic jusqu’au 31 janvier 2021. La peur des assemblées générales serait-elle supérieure à celle des rassemblements et manifestations culturelles de plus de 5.000 personnes interdits jusqu’au 31 août 2020 ? Là ressurgit “La complainte du progrès” de Boris Vian et sa “tourniquette” qui nous fait tourner la tête.
La lecture précise démontrera que tout ce qui est privé ou coercitif aura généralement un délai plus limité que tout ce qui dépend de tâches ou opérations administratives, la justice – déjà très mal en point et mise à mal – étant à part.
Un exemple : l’allocation journalière destinée aux personnes ayant à charge un enfant handicapé nécessitant des soins continus et contraignants n’est renouvelée qu’au vu d’un certificat médical. En cas d’impossibilité d’obtenir le certificat médical nécessaire entre le 12 mars et le 23 mai 2020 le versement de l’allocation avait été prolongé sur demande du bénéficiaire par l’article 10 III de l’ordonnance du 22 avril 2020 2020-460 de trois mois (pas d’automatisme) soit le 23 août. L’ordonnance du 13 mai 2020 modifie cet article en fixant la fin du versement au 30 juin 2020. Alors que la fin de la période d’état d’urgence sanitaire a été fixée par la loi du 13 mai au 10 juillet 2020.
Nous ne pouvons rester insensible à cette restriction imposée aux gens en souffrance.
Surtout au regard de délais prolongés jusqu’au 15 juillet, 23 août, 30 août, 23 septembre ou 31 décembre inclus pour… et « toutes les voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois de la fonction publique » (« civile et militaire » rajouté par l’ordonnance du 13 mai) qui fleurissent dans la dernière ordonnance.
Enfin ne pouvons-nous nous inquiéter qu’un simple décret même en Conseil d’État puisse intervenir pour raccourcir les délais fixés en rapport de la durée l’état d’urgence réservé à la loi comme le souligne avec impudeur le Rapport au Président de la République ? Et que l’institue l’article 12 de l’ordonnance du 13 mai ? Anticonstitutionnellement vôtre ?
Le calendrier n’est plus républicain depuis longtemps mais les textes produits et confus difficiles à interpréter voire incomplets – notamment pour ces dates de prolongation de délais – sont-ils dignes du terme « Égalité » de la devise de cette République ?
 
Alain PROVANSAL
Avocat honoraire et président d’honneur de l’AAPPE

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