Dessaisissement du créancier en liquidation judiciaire et exécution des jugements

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Auteur Par Véronique JEANDE
Dessaisissement du créancier en liquidation judiciaire et exécution des jugements

 

Un jugement du juge de l’exécution de Paris du 8 juillet 2021 synthétise les conséquences du dessaisissement du créancier en liquidation judiciaire sur l’exécution des jugements (Jex Paris, 8 juillet 2021, RG n° 21/80307).

En résumé, les mesures d’exécution mises en œuvre par le créancier dessaisi en lieu et place de son liquidateur judiciaire, ès-qualités, sont radicalement nulles.

 

Les faits

 

Les faits étaient les suivants.

Le 30 avril 2020, le Tribunal de commerce a placé une société en liquidation judiciaire.

Le 27 mai 2020, soit moins d’un mois plus tard, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt favorable à cette société, condamnant la partie adverse à lui payer certaines sommes.

La société a fait signifier l’arrêt à la partie adverse le 15 septembre 2020.

Puis l’huissier de la société a pratiqué des saisies-attributions à l’encontre de la partie adverse les 5 et 6 janvier 2021.

Ces saisies ont été dénoncées à la partie adverse respectivement le 13 et 11 janvier 2021 et la partie adverse les a contestées en saisissant le Juge de l’exécution par assignation du 10 février 2021.

La partie adverse demandait au juge d’annuler l’ensemble des actes d’exécution réalisés par la société (signification de l’arrêt ; saisies et dénonciations) aux motifs qu’ils auraient été faits par la société agissant « poursuites et diligences de ses représentants légaux ».

Or, du fait du jugement de liquidation judiciaire du 30 avril 2020, la partie adverse soutenait que ce serait le liquidateur judiciaire, ès-qualités, qui aurait dû les faire.

Le juge de l’exécution a donné raison à la partie adverse et a annulé l’ensemble des actes.

 

Raisonnement

 

Le principe de dessaisissement de la personne en liquidation judiciaire

Le débat juridique naît de l’article L. 641-9 I du Code de commerce qui dispose en son premier alinéa que :

  • « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens… Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. »

En conséquence du principe de dessaisissement de la personne en liquidation judiciaire, c’est donc le liquidateur judiciaire, ès-qualités, et non la société en liquidation qui aurait dû poursuivre l’exécution du jugement de condamnation du 27 mai 2020, postérieur au jugement de liquidation judiciaire de la société du 30 mai 2020.

Le principe de dessaisissement est cependant loin d’épuiser tous les problèmes juridiques se posant en l’espèce.

En effet, une fois posé que les actes d’exécution ont été réalisés en violation du principe de dessaisissement :

– quelle est la sanction de cette violation ?

– qui peut s’en prévaloir ? Et

– cette irrégularité peut-elle être couverte ?

C’est sur ces trois points que le juge fait œuvre utile en déroulant son raisonnement et en visant la jurisprudence et la doctrine l’appuyant.

La nullité de fond des actes d’exécution accomplis en violation du dessaisissement

Le juge pose tout d’abord que l’accomplissement d’un acte de procédure par une société en liquidation en lieu et place de son liquidateur judiciaire est une irrégularité de fond pour défaut de pouvoir.

Au soutien, il vise un arrêt de la Cour de cassation (Com., 14 décembre 1999, n° 97-15.316).

À sa lecture, cet arrêt voit en effet bien dans ce cas de figure une nullité de fond.

Il ne précise cependant pas si elle résulte d’un défaut de pouvoir de la partie ou d’une autre raison.

La meilleure doctrine en droit des procédures collectives n’éclaire pas plus sur ce point puisqu’elle ne le précise pas non plus (Le Corre, (P.-M.), Dalloz Action Droit et pratique des procédures collectives 2021|2022, Dalloz, 11e éd., 2020, 552.431).

On peut souscrire à l’analyse du juge de l’exécution d’un défaut de pouvoir, même si on pourrait aussi penser à un défaut de qualité (le droit d’accomplir des actes d’exécution pour la personne en liquidation est réservé au liquidateur, ès-qualités).

En tout état de cause, la conséquence de cette nature de nullité de fond est que celui qui l’invoque n’a pas à justifier d’un grief comme le juge le relève.

La possibilité pour d’autres que le liquidateur judiciaire de se prévaloir d’une nullité des actes d’exécution accomplis en violation du dessaisissement

Le juge pose ensuite que la partie adverse peut bien se prévaloir de cette nullité.

Le préciser peut paraître étonnant : il semble naturel qu’une partie puisse se prévaloir de la nullité d’un acte qui lui est opposé.

La difficulté vient en réalité d’une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui réservait au liquidateur judiciaire la possibilité de soulever la violation de la règle du dessaisissement.

Cette jurisprudence était motivée ainsi : la règle du dessaisissement est édictée dans l’intérêt des créanciers de la personne en liquidation (Com., 22 janvier 2002, n° 98-22.206 ; 10 avril 2010, n° 09-11.851 ; 14 décembre 2010, n° 10-10.774).

Mais, comme le jugement le détaille, la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence (Com., 13 novembre 2013, n° 13-11.921 et 12-28.572 ; Cour de cassation, Rapport annuel 2013, Livre IV, D., 4., p. 583 ; comm. Pétel (Ph.), JCP E 2014, n°3, chron. 1020, p. 35).

Le juge ajoute que c’est aussi la position du Conseil d’État (CE, 13 juin 2016, n° 388637 ; Revue de droit fiscal n° 50, 15 décembre 2016, comm. 65).

En conséquence, il estime que la partie adverse dont les biens ont été touchés par les mesures d’exécution forcée en cause est recevable à se prévaloir de cette cause objective de nullité.

La solution et le raisonnement la sous-tendant paraissent solides.

On notera cependant que la meilleure doctrine en droit des procédures collectives continue de défendre l’idée que seul le liquidateur judiciaire devrait pouvoir se prévaloir de l’irrégularité d’un acte d’exécution en rapport avec le principe de dessaisissement, à l’exclusion du débiteur, aux motifs que la règle du dessaisissement serait édictée pour protéger les créanciers (Le Corre, (P.-M.), ibid.).

La nullité de fond des actes accomplis en violation du dessaisissement

Le juge pose enfin que la nullité entachant les actes d’exécution en cause ne peut être couverte.

Cette dernière solution n’avait rien d’évident.

En effet, comme le juge le rappelle, la Cour de cassation a jugé à de nombreuses reprises que la nullité résultant d’une violation du principe de dessaisissement peut être couverte en cours d’instance, dans les délais pour agir (Com., 13 novembre 2013, n° 13-11.921 et 12-28.572).

Mais il s’agit dans l’immense majorité des cas d’une déclaration d’appel saisissant un juge et déclenchant une instance.

Or, la signification d’un jugement ne saisit pas de juge et épuise ses effets immédiatement.

En conséquence, le juge estime qu’aucune régularisation ne peut la valider rétroactivement, même dans le cadre d’une instance en contestation devant le juge de l’exécution.

La jurisprudence que le juge vise à l’appui n’est pas entièrement convaincante (Civ. 2, 11 janvier 1995, n° 93-16.515).

En effet, elle concerne une configuration très particulière : un appel avait été régularisé suite à une signification de jugement nulle.

Si la signification avait été valide, l’appel aurait été hors délai.

La Cour de cassation a jugé que la régularisation de la signification postérieurement à la déclaration d’appel ne pouvait atteindre la validité de celle-ci.

Reste que, si la jurisprudence visée ne clôt pas le débat, le raisonnement du juge de l’exécution se tient.

En conséquence de quoi, le juge a annulé la signification de l’arrêt d’appel du 15 septembre 2020 et, par voie de conséquence, les actes d’exécution subséquents, à savoir les saisies et leur dénonciation.

Intérêt du jugement

Voici en tout cas un jugement utile.

Certes, il s’agit d’un jugement de première instance, avec une valeur de précédent moindre qu’un arrêt d’appel ou de cassation.

Mais sa « motivation en forme développée », à l’instar de la nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation, en fait un guide précieux et facilement citable pour les praticiens qui se heurteraient à leur tour à un problème d’application du principe de dessaisissement au stade de l’exécution.

Charles SIMON
Administrateur de l’AAPPE

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