La clause de médiation obligatoire et le consommateur

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Auteur Par Véronique JEANDE
La clause de médiation obligatoire et le consommateur

 

 

La Cour de cassation vient de conforter sa position en jugeant abusive une clause obligeant un consommateur à avoir recours à une médiation avant tout litige.

La question posée était : une clause obligatoire pour un consommateur qui restreint l’accès au juge garanti par l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’est-elle pas abusive ?

Avant de trancher, la jurisprudence a hésité ; il faut dire que les règles sur l’obligation ou l’incitation à recourir aux modes alternatifs de règlement des litiges ou des différends avant tout contentieux peuvent paraître complexes.

 

La médiation prévue par la loi :

 

– Médiation précontentieuse :

En effet la loi impose cette médiation avant tout procès devant le Tribunal judiciaire pour certains contentieux (article 750-1 du Code de procédure civile).

Mais en outre, plus généralement, le juge procède à la conciliation ou invite à y recourir ainsi qu’à la médiation et même à la procédure participative (article 21 CPC : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties » et art. 127 CPC : « Hors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation ».)

 

– Médiation conventionnelle :

La règle européenne issue de la directive européenne du 21 mai 2013 (2013/11/UE) transposée aux articles L. 162-1 et s. du code de la consommation prévoit que le professionnel doit proposer une médiation au consommateur ; cette médiation est soit interne, soit sectorielle, soit externe ; de ce fait beaucoup d’entreprises prévoient dans des contrats professionnels ou commerciaux des clauses de cette nature mais aussi dans des contrats avec des consommateurs.

Pour les cocontractants professionnels qui se la voient imposée dans leurs contrats il n’y a jamais eu débat sur leur validité.

 

La médiation et le contrat :

 

– Clause valide :

Les contrats conclus avec des consommateurs contiennent souvent de telles clauses de médiation obligatoire.

Elles furent acceptées jusqu’à ce que se pose la question du caractère abusif d’une clause qui restreint l’accès au juge comme il a été dit ci-dessus.

Dans un arrêt de la Chambre mixte, la Cour de cassation avait admis la validité d’une clause figurant dans un acte de cession d’actions entre particuliers qui exigeait qu’ un conciliateur soit nommé par chacune des parties sauf à s’accorder sur un seul nom, avant tout procès (14 février 2003, n°s 00-19423 et 00-1819423).

La demande en justice faite sans en tenir compte était déclarée irrecevable comme pour les contrats entre professionnels au motif que les fins de non-recevoir des articles 122 et 124 du CPC ne sont pas limitativement énumérées (même arrêt).

À noter toutefois que depuis la loi 2008-3 du 3 janvier 2008 (dite Loi Chatel) et a fortiori celle 2014-344 du 17 mars 2014, le juge pouvait s’emparer des clauses abusives sous la seule réserve du respect du contradictoire en invitant les parties à s’expliquer.

 

– Clause invalide :

Puis le vent a tourné et en considération du droit à l’accès au juge gravé dans l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme le législateur a modifié le code de la consommation : l’article R. 212-2 relatif aux clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs en son premier alinéa puis son dixième prescrit : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l’article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :

10° Supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges. »

La jurisprudence a cependant permis de rapporter la preuve contraire au professionnel puisqu’il n’y avait que présomption simple de clause abusive. Dans ce cas on a plutôt évoqué la notion de « clause grise ».

Dans un premier arrêt (Cass. Civ. 1e, 16 mai 2018, n°17-16.197) la Cour de cassation a condamné les clauses de médiation obligatoire dans les contrats de consommation en se plaçant sur le terrain des clauses abusives. Les faits étaient antérieurs à l’inclusion dans la législation en 2015 de l’article L. 612-4 du code de la consommation qui dispose qu’ « est interdite toute clause ou convention obligeant le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation préalablement à la saisine du juge ».

Malgré la disposition précitée d’interdiction le caractère de clause abusive a quand même fait l’objet d’un arrêt de cassation prononcé le 19 janvier 2022 par la 3° chambre (n°21-11095) qui reprend celui de 2018 : « En se déterminant ainsi, (en accueillant la fin de non-recevoir tirée du défaut de saisine préalable d’une commission de conciliation sectorielle) alors que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu’il lui appartenait d’examiner d’office la régularité d’une telle clause, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

 

Questionnement : la Cour de cassation maintient la présomption simple de clause abusive alors que l’article L. 612-2 du code de la consommation en prononce l’interdiction, dans quel but ?

L’accès au juge pour le consommateur prédomine donc sur l’incitation forte voire l’obligation de recourir à la médiation ou autre mode de règlement amiable des différends même avant tout procès, le professionnel devant par contre la proposer au susdit consommateur. 

Où l’on voit que le rôle régulateur de la juridiction suprême est plus que nécessaire pour sortir de l’ambiguïté qu’elle entretient.

 

Alain Provansal
Avocat Honoraire
Fondateur de la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET ET ASSOCIÉ

 

 

Cet article a été écrit pour le site Eurojuris France,
sur lequel il a été publié.

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